De 1900 à nos jours, petite histoire de l’électricité en France
Notre mix énergétique est quelque chose de construit. Il résulte de choix politiques effectués en fonction des techniques disponibles et de la vision du monde que partagent les décideurs. C’est donc de la succession de ces décisions que découle le paysage électrique français que nous connaissons.
Retour en quelques points sur un passé déterminant pour l’avenir.
1900-1945 : Houille noire et houille blanche
Inutile de revenir sur un passé antérieur à la fin du 19ème siècle. C’est en effet à partir de cette époque que la fée électricité entre dans le quotidien des ménages et des entreprises. Grâce aux inventions de scientifiques comme Nikola Tesla (machine à courant alternatif) ou Lucien Gaulard (transformateur), l’électricité s’impose comme élément indispensable de la modernité.
Le mix énergétique français de la première moitié du 20ème siècle est alors simple. Il repose essentiellement sur deux sources principales, la houille noire et la houille blanche, le charbon et l’hydroélectricité.
Parc des centrales thermiques en France de 1924 à 1936.
La houille noire a déjà été le moteur de la première révolution industrielle. Elle a permis à James Watt de développer sa machine à vapeur, qui sert également comme générateur d’électricité.
On peut constater à travers les chiffres fournis par EDF qu’il existe une certaine frénésie d’accroissement de la puissance des centrales thermiques. On remplace les centrales de petite capacité par des centrales a capacité plus importante. On passe ainsi de 241 centrales pour une capacité de 2740 MW en 1924 à 224 centrales thermiques d’une puissance installée de 4 614 MW en 1936. Le secteur de l’électricité profite pleinement des avancées techniques en termes de rendement.
Taille des centrales hydrauliques mises en service après 1924.
La houille blanche quant à elle est popularisée par Aristide Bergès et se développe rapidement dans les années 1920, participant à l’élan d’électrification de la France. La première source d’électricité verte est donc bien plus ancienne qu’on ne le pense.
On constate là aussi une forte augmentation des capacités de production, pour atteindre 3 677 MW en 1936, une capacité de 1000 MW inférieure à celle développée par les centrales thermiques.
1946-1951 : Nationalisation et plan favorable au développement de l’hydraulique
En 1946, pour permettre d’orienter la reconstruction du pays et favoriser un développement harmonisé sur tout le territoire, les gouvernements de la IVème République décident de créer un acteur énergétique national et totalement intégré : Electricité de France. Cette structure est en charge du développement de l’électricité en France, une activité considérée comme stratégique lors de la reconstruction. EDF contrôle tout, de la production à la distribution, et doit donc se prononcer sur les sources d’énergie à privilégier.
Avec la guerre, s’est posée justement la question de l’indépendance en termes d’approvisionnement des matières premières. Le charbon apparaît alors comme peu stratégique et on lui préfère l’hydraulique, d’autant que de nombreux sites restent exploitables.
Entre 1946 et 1960, consécutivement à ce plan, l’électricité est à 60% produite par des centrales hydrauliques.
1951- 1973 : CECA et augmentation de la part des combustibles fossiles
À la suite de la mise en place de la Communauté Economique du Charbon et de l’Acier en 1951, l’Etat opère un revirement temporaire et adopte un plan pour promouvoir les centrales thermiques au charbon. L’objectif est de faire passer l’hydraulique à 35% de la production et de fournir le reste de l’électricité grâce au charbon.
Cependant, malgré la pression du ministère de la Production Industrielle, le plan charbon n’est pas un grand succès et jusqu’en 1958 au moins, le développement de l’hydraulique prédomine.
En 1958, du fait du très faible prix du pétrole et de l’épuisement des sites susceptibles d’accueillir des centrales hydrauliques, l’Etat décide à travers EDF de lancer un grand plan de développement des centrales au fioul. Cette énergie peu chère, découverte en abondance au Moyen-Orient et dans le Sahara algérien, améliore la productivité de l’économie française et est mise en avant par les présidents De Gaulle et Pompidou.
C’est en 1973, année de la première crise pétrolière, que la part du fioul (et à moindre raison du gaz) atteint 46% de la production d’électricité. Le charbon est alors réduit à 20% et n’est pas prêt de remonter, tandis que la part de l’hydraulique a été ramenée à 27%. Le nucléaire, qui va être fortement développé ensuite, pointe déjà à 8% de la production électrique.
1973 : L’accélération du programme électronucléaire
Consécutivement à l’explosion des prix du pétrole et à la volonté de grandeur et d’indépendance stratégique amorcée par la présidence De Gaulle, les autorités décident d’amorcer une montée en puissance du nucléaire dans la production d’électricité.
Le programme d’intensification de la filière électronucléaire, connu sous le nom de plan Messmer, prévoit la construction de 4 à 6 réacteurs nucléaires par an jusqu’en 1985. L’électronucléaire rentre donc à grand pas dans le mix électrique français et devient majoritaire en très peu de temps.
A partir de 1977, les conséquences de ce programme sont clairement visibles et l’électronucléaire prend une part de plus en plus importante. En 1990, le nucléaire atteint 75% de l’énergie primaire utilisée pour la production de l’électricité, laissant loin derrière le thermique qui descend à 11% et l’hydraulique qui se stabilise à 14%. Des choix politiques ont donc orienté très fortement l’évolution du paysage électrique français.
Production d’électricité par source d’énergie primaire en France
Années 1990 et 2000 : l’avènement des énergies renouvelables
L’intérêt pour les énergies renouvelables est récent : on ne s’intéresse guère aux sources alternatives d’énergie avant la fin du vingtième siècle. C’est dans les années 1990 que les médias et les décideurs politiques prennent conscience des enjeux climatiques liés à l’action humaine.
La Conférence de Rio de 1992 marque la première prise de décision politique pour limiter le réchauffement climatique. Cette conférence prend ses racines dans le rapport Brundtland de 1987, qui est le premier à évoquer les conséquences néfastes de la production d’énergie sur le climat, avec ce qu’on appelle l’effet de serre. A Rio se crée alors la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dont l’organe principal est la Conférence des Parties (COP), qui se réunit annuellement pour vérifier que les Etats mettent en place des politiques de lutte contre le changement climatique. A eu lieu en 2015 la COP à Paris.
En 1997, la CCNUCC adopte le Protocole de Kyoto, qui s’est traduit par l’engagement des parties prenantes à diminuer leur niveau d’émission de gaz à effet de serre.
L’Union Européenne a eu un rôle prépondérant dans le domaine : elle a ratifié le Protocole de Kyoto de 2002 et a pris l’engagement ambitieux de réduire ses émissions de GES de 8% en 2012 par rapport au niveau 1990. Cet objectif a été atteint et dépassé, avec -14,1% d’émissions. Un nouvel objectif pour 2020 a alors été désigné : le « 3×20 pour le climat », avec -20% d’émissions de GES, +20% d’efficacité énergétique et 20% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique.
C’est dans ce cadre volontariste que le développement des énergies renouvelables a pu se faire. Les États européens ont alors adopté des politiques visant à développer l’énergie verte, modifiant progressivement leur mix énergétique. Des technologies autres que l’hydraulique ont pu trouver leur place dans la génération d’électricité : le solaire photovoltaïque et l’éolien notamment ont cru à une vitesse impressionnante. Quasi inexistants dans le mix de capacité électrique européenne installée en 2000, ils représentent ensemble 22% de celui-ci en 2013.
Le mix électrique présent et futur : un choix du consommateur
Si les énergies renouvelables émergent, ce sont les énergies fossiles, avec le charbon en tête, qui sont la première source d’électricité mondiale, avec 68% de la production en 2013. En Europe, le mix électrique diffère : l’Union Européenne est la pionnière des énergies renouvelables, qui sont la première source d’électricité en 2013, avec 28% de la production contre 20% dans le monde (hydraulique inclus).
A l’échelle européenne, d’autres questions se posent quant aux sources d’énergie à privilégier. S’il est d’un commun accord que les énergies fossiles sont trop polluantes et ne doivent pas être privilégiées, c’est le charbon qui reste l’énergie la moins chère.
Au contraire, les énergies vertes demandent un fort investissement dans les technologies : la question de leur financement se pose alors.
Concernant le nucléaire, le débat n’est pas tranché : si cette énergie n’émet aucun gaz à effet de serre, elle est source de déchets radioactifs et les risques industriels restent très importants.
Enfin l’enjeu de l’indépendance énergétique de l’Europe est un point crucial. La dépendance croissante de l’UE envers ses importations de gaz et les conséquences sur marge de manœuvre en politique internationale se fait ressentir de plus en plus. Le conflit en Ukraine illustre parfaitement cette difficulté à prendre des décisions. L’Europe est également très dépendante pour le charbon, l’uranium et le pétrole à partir desquels l’essentiel de l’électricité est produite.
Le mix électrique de demain est difficilement prévisible. Mais depuis 2007, en France, la donne a changé : le marché de l’électricité s’est libéralisé, EDF perdant son monopole. Aujourd’hui, l’électricité est un bien de consommation dont on peut connaître et choisir la source. Le consommateur devient actif et peut contribuer à changer le mix de consommation électrique français, où la part du renouvelable en 2013 est l’une des plus basses en Europe.